Yveline GANS-GARAUDÉE

Ecritures


La préface d'Yvonne Knibiehler,
Professeur honoraire
à l'Université de Provence

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Mon ouvrage "Maroc, un enseignement pluriculturel, 1912-1956"
bientôt commercialisé. En voici ici la préface d'Yvonne Knibiehler,
la présentation, l'avant-propos et le préambule.


 
Présentation



De fil en aiguille…

Il était une fois ma grand-mère, Germaine Gans, qui fut de 1938 à 1956 directrice de l'école musulmane pour fillettes d'Oujda. Elle avait rencontré en Algérie celui qui allait devenir son mari. Puis ils vécurent près de trente ans aux confins du Maroc oriental, à Oujda. André Gans allait diriger l'école professionnelle pour garçons, tandis que Germaine enseignerait la broderie et la dentelle à des adolescentes arabes.

Aujourd'hui, je rends hommage à Germaine Gans avec la publication de ce livre intitulé "Maroc, un enseignement pluriculturel, 1912-1956, école musulmane pour fillettes à Oujda".

C'est d'abord la recherche de mes racines qui m'a fait découvrir la richesse et la multiplicité des broderies marocaines, puis à me pencher sur l'enseignement donné aux fillettes durant le protectorat au Maroc. Grâce aux documents conservés et datant de cette époque et à des recherches aux archives diplomatiques de Nantes, j'ai pu réaliser un ouvrage que je qualifie d'"hybride", car il réunit différents aspects : artistique, sociologique et ethnologique.
Couverture


 
Avant-propos


"Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément". Régulièrement, quand je rédigeais mes dissertations, j'entendais cette phrase de Nicolas Boileau prononcée par ma mère. Elle me voyait expectative et souvent le regard dans le vague. Et puis les idées s'enchaînaient, bonnes ou mauvaises, les mots venaient tout à coup facilement. Nous étions sauvées...

Elèves exposant leurs broderies et dentelles, OujdaMais voilà l'heure n'est plus à la rédaction d'un devoir, il m'importe d'expliquer le pourquoi du présent ouvrage. "Hybride", c'est le qualificatif qui me vient immédiatement à l'esprit. Ce livre pourrait être un essai sociologique ou ethnologique, un recueil de photographies de broderies marocaines, un ouvrage pour les apprenties brodeuses. Finalement, il est tout cela, tout dépend avec quel regard le lecteur voudra bien l'appréhender. Quels que soient les qualificatifs qui lui seront donnés, c'est avec émotion que je l'ai réalisé.

Au-delà du temps, j'ai rencontré sur le chemin des ans écoulés une personne à qui je souhaitais rendre hommage : ma mère, Germaine Gans qui fut directrice de l'école musulmane de fillettes d'Oujda, au Maroc, de 1938 à 1956. Je rends hommage à l'enseignante, à la directrice mais aussi à la mère qu'elle a été, juste, sévère, en un mot aimante. Que ne soient pas oubliées toutes ces femmes, enseignantes, directrices, musulmanes et françaises. Grâce à leurs compétences, elles ont permis la transmission de savoirs ancestraux qui font la richesse du patrimoine culturel marocain, je veux parler de la broderie, la dentelle et le tissage des tapis. Outre les rémunérations que la vente d'ouvrages permettait, c'est le rayonnement culturel du Maroc qui était mis à l'honneur. La volonté des directrices d'école qui désiraient que l'apprentissage de ces techniques soit fait par des maîtresses-ouvrières musulmanes a permis de pérenniser ces différentes pratiques artistiques.

Broderies marocainesMais le rôle des directrices et enseignantes féminines ne s'est pas arrêté aux aspects pédagogiques. Elles ont lutté aux côtés des élèves musulmanes pour un avenir féminin meilleur à une époque où les aspirations et les ambitions des femmes n'étaient pas souvent écoutées, les sociétés musulmanes et françaises, ne leur octroyant que peu de libre arbitre. Ce combat incessant contre la misère, le manque d'hygiène, la méfiance, l'obscurantisme, les traditions ancestrales bafouant la femme, la crainte des hommes de se voir déposséder de leur puissant rôle de chef de famille, a été couronné de succès.

Au fil des ans, malgré une évolution lente, l'accès à l'instruction, quel que soit le type d'enseignement, a permis aux fillettes et jeunes filles musulmanes de prendre conscience de leurs valeurs et de leurs possibilités. Même si toutes n'avaient pas bénéficié de l'enseignement public et laïc français, celles qui avaient été envoyées à l'école, coranique ou française, ont ouvert la voie de la responsabilisation des femmes. Elles ont montré qu'il était possible de se libérer du joug des traditions. La nouvelle vision qu'elles avaient d'elles-mêmes, allant à l'encontre des représentations culturelles traditionnelles, leur a permis d'endosser des responsabilités sociales jusqu'alors dévolues aux hommes.

Dentelles d'OujdaLe Code du statut personnel marocain, la "Moudawana" loi révisée en 2004 par le parlement marocain est le fruit des luttes engagées par ces femmes, qui à l'époque du Protectorat, étaient encore des fillettes. Cette réforme donne aux femmes un statut social égal à celui des hommes au sein de la famille. Certes, seule une petite élite féminine musulmane avait accès à l'enseignement supérieur, mais grâce à elles beaucoup d'autres, dans la vie de tous les jours ont été et sont respectées. Au XXI° siècle, des femmes musulmanes font désormais partie du gouvernement marocain. A leur tour d'édifier avec les hommes une société moderne fondée sur le respect mutuel, la dignité et la liberté.


 
Souvenirs


Ecole professionnelle
Atelier de l'école professionnelle pour garçons d'Oujda
Au fond, mon grand-père André Gans (années 50)
Germaine Gans, années 40
Présentation de broderies à Oujda
Ma grand-mère Germaine Gans dans les années 40

En famille
Avec mes grands-parents à Selonnet (Alpes-de-Haute-Provence) en 1960-61


 
Préambule


"La conception et l'application à un pays d'une forme nouvelle d'enseignement fait toujours appel à des expériences étrangères dont on a reconnu la valeur et l'efficacité. La difficulté consiste à les harmoniser avec les exigences d'une tradition toujours vivante.
[…] Il n'est pas d'exemple à notre connaissance d'une modernisation qui se soit faite sans heurts, par une lente maturation des facteurs internes d'évolution et d'une réflexion sage et patiente sur les moyens d'adapter l'enseignement traditionnel aux besoins du monde moderne".

Lucien Paye, "Introduction et évolution de l'enseignement moderne au Maroc." (1957)


Ecole pour fillettes musulmanes, Oujda (1927)L'évolution de l'enseignement donné aux filles musulmanes jusqu'en 1956, date de la fin du Protectorat français au Maroc, est caractérisée par des adaptations permanentes aux contraintes politiques, économiques, religieuses et culturelles marocaines, ainsi qu'aux conséquences des événements internationaux.

Un des facteurs les plus important ayant favorisé l'accès à l'instruction pour les filles a été sans conteste l'évolution des mentalités au sein des familles musulmanes qui acceptèrent de les ouvrir au monde extérieur, alors que traditionnellement la gente féminine devait rester cloîtrée dès l'âge de la puberté. La population masculine qui a accès aux écoles de fils de notables souhaitant que leurs futures épouses aient de l'instruction abonde dans ce sens.

Un autre facteur de l'évolution de l'enseignement pour les filles musulmanes, est à partir des années 1940 la volonté des différents partis nationalistes marocains de responsabiliser ces dernières par le biais d'une instruction générale et pratique. Le souhait du Sultan Mohammed V, dès 1945, de voir les filles musulmanes accéder à un enseignement équivalent à celui des garçons, accélérera le processus d'intégration des filles à l'école.


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